My Beautiful Seventies

Vieillir n'est pas (toujours) une punition

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Par Michèle Fitoussi
30 avr. · 7 mn à lire
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Mercedes Erra

Bienvenue dans My Beautiful Seventies

SOMMAIRE

1. Édito. Vieillir n’est pas (toujours) une punition
2. Rencontre. Mercedes Erra, présidente de l’agence française de publicité BETC
3. Revue de presbyte. Où travaille-t-on le plus en Europe passé 65 ans ? Comment vieillir en bonne santé ? Qui sont les silver influenceuses ?
4. Les 70e rugissantes. Jamais trop tard pour faire le show.
5. MBS a aimé. Un livre, La Longue Vue de Elizabeth Jane Howard (La Table Ronde). Un podcast, Michèle Perrot, historienne et féministe ( ADN/INA)

VIEILLIR N’EST PAS (TOUJOURS) UNE PUNITION

À la fin de cette année 2024, je vais avoir 70 ans. C’est sans doute un cliché de dire que je n’y crois pas, mais c’est vrai. J’ai beau prétendre le contraire, basculer dans cet âge que j’ai longtemps considéré comme canonique, à défaut d’être canon, me perturbe. Un peu. Pas mal en fait. À peine le temps de comprendre que je n’ai rien compris et voilà, j’ai atterri dans cet endroit bizarre. Je suis chez les vieux. Pas les très très vieux, ni les trop trop vieux. Mais les vieux.

Boomer ? Je commence à prendre l’habitude de ce mot employé comme une insulte par les générations Y ou Z envers la nôtre. C’est un terme que je trouve plutôt mignon, finalement, même s’il est chargé de toutes les erreurs que nous avons commises. D’autres me relèguent dans ce senior que je déteste, mais puisque les cartes éponymes me procurent des avantages, je ne peux pas l’éliminer tout à fait. 

Je digresse mais c’est pour mieux retarder le moment de vérité : je suis une (presque) septuagénaire. Et ce mot là, c’est franchement la cata. Septuagénaire, moi ? Laissez-moi rigoler. Mes rides ne sont pas (encore) trop marquées, mes cheveux blancs se voient à peine, mes jambes restent fermes même si les escaliers du métro ne sont pas toujours mes amis, mes neurones sont toujours en ordre de marche malgré ma mémoire en chocolat, ma plume n’a pas faibli, non plus que mon appétit pour décrypter le monde. Et quand le matin j’hésite devant un jean et des baskets, ma réponse est prête : je me suis toujours habillée comme ça,  je ne vois pas pourquoi ça changerait. Surtout à mon âge.

Bien sûr, je pense au temps qui me reste. Pas seulement à vivre, mais à vivre bien. Intacte physiquement et mentalement, je l’espère. La pensée de la mort m’effleure parfois. Je ne la repousse pas, elle ne m’obsède pas non plus, je préfère le bel aujourd’hui. Rester optimiste dans un monde compliqué, accepter les changements et s’y adapter, saisir les opportunités comme autant de cadeaux, garder mon sens de l’humour, m’entourer d’amis bienveillants de tous âges, écrire, lire, voyager, aimer, vibrer, c’est tout ce que j’attends des années qui viennent. Vieille, peut-être, mais pas que.

My Beautiful Seventies est né de ce constat. Les 70 ans d’aujourd’hui, les ex vingtenaires des années 70, ne sont pas les mêmes que ceux d’hier. Ils ont la pêche. Ils ont rajeuni. Ou plutôt, ils ne se voient pas vieillir. Ils avancent dans un terrain en friche, en inventant leur âge, sans modèles pour leur montrer le chemin. À condition que la santé suive. Certains travaillent beaucoup, d’autres différemment, certains retraités ont des agendas de ministres. Je suis allée à leur rencontre. Que font-ils ? Qu’est-ce qui a changé (ou pas) dans leurs vies ? Quel est leur regard sur l’amour, la sexualité, la famille, le vieillissement, le travail, la maladie, la mort, le monde actuel ? Quelles sont leurs recettes de bonne vie ? 70 est-il le nouveau 50 ?

Je m’adresse à eux, mais je parle à tous Aux vieux et aux jeunes qui, même s’ils ne s’en doutent pas encore, atteindront un jour nos rivages. Autant qu’ils soient au courant : vieillir n’est pas (toujours) une punition.

MERCEDES ERRA : “Je ne crois pas au vieillissement”  

Mercedes Erra, présidente de BETC, est aussi une femme très engagée dans la société. Elle est aussi la mère fière et attentive de cinq garçons. À presque 70 ans, elle reste créative, pugnace, bosseuse, marrante et accessible. J’ai voulu qu’elle soit la première à être interrogée sur My Beautiful Seventies, parce qu’elle est depuis longtemps un modèle pour les femmes de toutes les générations, même si elle déteste cette idée. Et parce qu’elle est inoxydable. Je l'ai rencontrée à Pantin, dans les bureaux de son agence, modernes et écolos. 

   Mercedes Erra a co-fondé BETC l'agence qu'elle préside, en 1995 - Crédit photo : Bouchra Jarrar Mercedes Erra a co-fondé BETC l'agence qu'elle préside, en 1995 - Crédit photo : Bouchra Jarrar

Michèle : Que signifie pour toi le mot retraite ?

Mercedes : Je n’aime pas ce mot. Tout le monde n’est pas égal devant l’âge. Un maçon à 50 ans est vieux, physiquement usé, bien plus que moi à 70 ans. Dans notre société, aujourd’hui personne n’aborde les grands sujets politiques ou sociaux avec philosophie et âme. On ne nous dit pas que le travail est intéressant, qu’il a été libératoire pour les femmes. On ne pense pas qu’avoir moins d’argent et ne plus être inséré socialement, précipite la fin. Du jour au lendemain, on ne fait plus rien alors qu’il faudrait pouvoir travailler moins mais progressivement. Par ailleurs, je trouve compliqué le rapport de la jeunesse et plus généralement celui de la France au travail. Ma maman était femme au foyer, mais la maison ne l’intéressait pas du tout, elle râlait tout le temps. J’ai voulu m’en démarquer. Le travail a toujours été pour moi un épanouissement, une forme d’aboutissement, et c’est encore les cas aujourd’hui. J’ai eu la chance, après mes études, de trouver un travail qui me convenait et d’être bien payée même si j’ai mis un peu de temps avant d’y arriver. J’ai été prof de lettres avant d’entrer dans la pub et j’ai quitté l'enseignement car je trouvais qu'on n’était pas assez dans le « faire ». Une journaliste de Libération m’avait surnommé « La Dame de Faire », ça me correspond bien.

Michèle : Tu vas avoir 70 ans en septembre, tu vas continuer à « faire » longtemps ? 

Mercedes : Oui ! Je n’aime pas les arrêts, je n’aime pas non plus l’idée de ne pas continuer à gagner de l’argent et de me restreindre, je n’en suis pas capable. Mais je sais que je vais devoir transmettre assez vite mon agence et qu’il va falloir que je travaille autrement, ce qui ne veut pas dire moins, car je compte bien continuer à bosser tout le temps. Le vrai pouvoir c’est celui de faire les choses. Ne plus avoir aucun titre me serait complètement égal.

Michèle : Tu as dit « quand je vais bien je travaille, quand je vais mal je travaille ».

Mercedes : Je rentre très tard, je me lève tôt et quand je sens trop de pression au travail, ou quand je pense à mes cinq fils, je ne dors pas. J’aimerais bien qu’ils trouvent leur route. Ce qu’ils font de leur vie, je m’en fiche du moment qu’ils sont heureux mais le bonheur n’est pas si évident. Toutes ces pensées me réveillent la nuit. Alors je me lève et je travaille. Je préfèrerais dormir car je fatigue, il m’arrive même de piquer du nez dans la journée. Les gens se demandent comme je peux réussir à faire autant de choses, mais c’est parce que dès que j’ai un problème, je travaille pour l’oublier. Je ne suis pas plus heureuse sur une plage.

Michèle : Qu’évoque pour toi le mot vieillir ?

Mercedes : Je pense d’abord à mes parents parce que je trouve qu’ils ont mal vieilli. Evidemment je me pose des questions, même si je ne ressens quasiment pas de fragilités. Je fais cependant plus attention qu’avant, je skie moins alors que j’adorais ça, je fais vérifier ma santé régulièrement. Je sais bien que je ne vais pas toujours être ainsi, on verra à ce moment là. En réalité, je ne crois pas au vieillissement. Il y a quelques années, j’ai imaginé une campagne de pub pour Evian qui a marché dans le monde entier parce que je racontais une vérité profonde. Qui décrète que vous vieillissez ? Ce sont les autres. Nous-mêmes on a un mal fou à savoir notre âge. Je sais que je vais avoir 70 ans parce que tout le monde me le dit mais ce truc me parait bizarre, j’ai souvent du mal à réaliser. Je ne vois pas les changements dans mon miroir quand je me maquille le matin.

"Live Young", "Vivons Jeune", la campagne Evian créée par BETC,  "Live Young", "Vivons Jeune", la campagne Evian créée par BETC,

Notre génération a gagné vingt ans en vingt ans

Michèle : Préfères-tu penser au temps qui est passé ou au temps qui te reste ?

Mercedes : Je n’aime pas le passé. Ça m’intéresse pas de rester des heures à me souvenir bien que je sois hypermnésique ; je retiens tout, sauf les visages. Mais quand je vois mes cinq garçons, mon fils aîné de 35 ans, mes jumeaux de 30 ans, je trouve que le temps s’est accéléré et qu’il faut profiter de la vie, que j’adore malgré toutes ses complexités.

Michèle : Si on te donnait à choisir entre une pilule qui te rajeunit physiquement de 10 ans ou une qui te fait vivre 10 ans de plus, laquelle choisirais-tu ?

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