My Beautiful Seventies

Vieillir n'est pas (toujours) une punition

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Par Michèle Fitoussi
10 juin · 7 mn à lire
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Pierre Haski

Bienvenue dans My Beautiful Seventies

SOMMAIRE

1. Édito. Le fil rouge de ma vie.
2. Rencontre avec Pierre Haski, journaliste, écrivain.
3.Revue de presbyte. Bonjour vieillesse. La jeunesse intérieure.
4. À votre santé ! Increvables neurones.
5. Vieux et golri. @Gramparents sur Instagram : un chic éternel.
6. Les 70e rugissants : Albert et Salman.
7. MBS a aimé. Un polar : Le Murder Club du Jeudi de Richard Osman. Une BD : Joseph Kessel l’indomptable de Judith Cohen-Solal, Jonathan Hayoun et Nicolas Otero.

Le fil rouge de ma vie.

Quels sont les lecteurs les plus assidus ? La plupart des sondages et des enquêtes, placent les vieux et les femmes en tête de liste. J’appartiens aux deux catégories, mais ce n’est pas la raison pour laquelle je recommande régulièrement ici des livres qui m’ont plu ou intéressée, ou que je sollicite les conseils de mes invités. Et pas non plus parce que la lecture est toujours citée pour ses effets bénéfiques sur le bien-vieillir. Au même titre que l’écriture, lire est le fil rouge de ma vie. Ce vice impuni m’a plutôt bien réussi. M’a construite. M’a donné de la force et de la joie. Plus jeune quand je m’écroulais dans mon lit à la fin d’une journée très remplie sans avoir la force de tenir un bouquin, je caressais l’espoir de consacrer une lointaine retraite à ne faire que ça. Lire. Du matin au soir et du soir au matin. Reprendre les classiques. Réduire la pile des livres entassés sur ma table de chevet ou accumulés dans ma liseuse. Ce qu’on appelle en japonais, le syndrome du Tsundoku, l’achat compulsif de livres qu’on ne lit pas, mais qui nous entourent comme des amis bienveillants. Aujourd’hui que le temps se rétrécit, l’objectif me parait encore plus impossible à atteindre. Mais je ne renonce pas.

Et s’il n’y avait que les livres…Déformation professionnelle oblige, je suis abonnée à tellement de quotidiens et de magazines via leurs applications, que mes moments creux sont tout de suite remplis. Je dégaine mon téléphone n’importe où, dans les transports, les salles d’attentes, les cafés. Je n’ai aucun fétichisme pour le support, aucune nostalgie pour l’odeur de l’encre, le froissement des pages. Sans être une digitale native, je pourrais les lire sur ma montre connectée si les caractères n’étaient pas si minuscules. C’est un débat que j’ai souvent avec mes amis attachés au papier et sur lequel je ne prétends pas avoir raison. L’important c’est de pouvoir nourrir continuellement son esprit, s’échapper du monde avec la fiction, y revenir avec l’information, de qualité s’entend, ce qui comme nous le rappelle Pierre Haski, est plus que jamais indispensable. Et pour cela, il n’y a pas d’âge.

PIERRE HASKI :

“J’ai gardé la même capacité de travail, la même curiosité qu’il y a vingt ans”

Il nous réveille tous les matins depuis six ans en nous expliquant bien comment le monde va mal. Avant sa chronique sur France Inter, il y a eu l’AFP et Libération, Rue 89, qu’il a co-fondé, et l’ Obs, les postes à Johannesburg, Jérusalem ou Pékin. C’est d’ailleurs là-bas que je l’ai rencontré, il y a une vingtaine d’années, alors que nous sommes tous deux nés à Tunis, à un an d’intervalle, et que nous aurions pu nous croiser mille fois depuis. Nous avons eu quelques belles aventures communes, comme cette ONG pour aider les fillettes chinoises du Ningxia à aller à l’école, ce qu’il a raconté dans son livre, Le Journal de Ma Yan. Son enthousiasme peut soulever des montagnes, sa passion pour son métier aussi. Il fête ce mois-ci ses 50 ans de journalisme et à l’écouter parler, on a le sentiment qu’il a commencé hier et qu’il ne s’arrêtera jamais.

 

Pierre Haski président de Reporters Sans Frontières en 2022.

Michèle Fitoussi : Tu viens d’avoir 71 ans. Ça, c’est l’état-civil. Et ton ressenti ?

Pierre Haski : Dans ma tête, j’ai 50 ans. Et je vis comme quelqu’un qui a 50 ans. Je me lève tous les matins à 6 heures pour aller à France Inter, je travaille énormément. Mon dernier livre est sorti en janvier et je suis invité partout en France, je suis président de l’ONG Reporters Sans Frontières. Je n’ai absolument pas le sentiment d’avoir mon âge. J’ai gardé la même capacité de travail, les mêmes envies, la même curiosité qu’il y a vingt ans quand j’avais co-fondé Rue 89. Et puis, je suis toujours très sollicité, c’est stimulant.

Michèle : Tu es donc pile dans le club des Beautiful Seventies ?

Pierre : Dans mon métier, absolument ! Je vais fêter mes 50 ans de journalisme ce mois-ci. Et je me rends compte à quel point mon expérience de toutes ces années m’est précieuse pour ma chronique matinale.

Michèle : On peut être journaliste jusqu’à quel âge ?

Pierre : Jusqu’à la fin ! J’ai toujours rêvé de finir comme Molière, en m’écroulant un jour, la tête sur ma machine à écrire. Je ne ferai sans doute pas ce métier de la même façon dans quelques années. Mais je ne m’arrêterai jamais, en tous cas je n’en ai pas envie.

Michèle. T’arrive-t-il parfois de penser que tu repousses tes limites ?

Pierre : Oui et je ne dois pas le faire. Je n’ai jamais été sérieusement malade, mais récemment j’ai eu des alertes à cause de la fatigue. Je ne peux plus trop tirer sur la corde, comme j’en ai eu l’habitude. Je dois faire attention, me ménager. J’ai découvert l’art des micro-siestes !

Au Pierre de 20 ans, je dirais : « Accroche-toi, car ça va valoir le coup » ! 

Michèle : Que penses-tu du mot retraite ? Et de la façon dont on la considère aujourd’hui ?

Pierre : C’est beaucoup moins cette mort sociale que les gens vivaient auparavant, quand ils se réfugiaient dans un « hobby ». Aujourd’hui quand ils ne travaillent plus, ils s’engagent dans le bénévolat, ils voyagent, ils militent… Dans mon milieu, peut-être un peu particulier, je ne vois personne qui ait cessé de travailler à mon âge et au-delà.

Michèle. As-tu déjà été confronté à l’âgisme  ?

Pierre : Non mais le jour de la Pentecôte qui est théoriquement le jour où on travaille pour les « vieux », l’humoriste Mathieu Noël a conclu son billet sur France Inter en disant « Et je vous rappelle qu’aujourd’hui nous travaillons pour Pierre Haski ». Ça m’a beaucoup fait rire. Cela dit à la rédaction, les journalistes sont beaucoup plus jeunes que moi. Ils ont des préoccupations que je n’ai plus, des enfants, petits ou ados, des références que je n’ai pas. Je suis le plus âgé, et je m’en rends compte à ces détails.

Michèle : Que dirais tu à ton moi de 20 ans si tu le rencontrais ?

Pierre : J’avais 18 ans quand ma mère m’a appris qu’elle allait se remarier, et qu’elle partait rejoindre son mari suédois en Tanzanie ! Ça a été à la fois un choc et l’apprentissage fabuleux de la liberté puisque je me suis retrouvé seul à Paris. L’année suivante je suis allé la voir et je me suis retrouvé à Zanzibar. On était en 1972, le dictateur de l’île venait d’être assassiné. Les touristes étaient peu nombreux. Les commerçants et les artisans, africains, indiens ou arabes, m’invitaient à boire du thé et me racontaient toutes leurs histoires de familles ou celles de la dictature. J’étais fasciné. Je me disais, voilà ce que je veux faire : parcourir le monde pour recueillir des histoires et pour en témoigner. Alors, au Pierre de 20 ans, je dirais : « Accroche-toi, car ça va valoir le coup » !

Michèle : Que penses-tu avoir transmis à tes deux enfants ?

Pierre : Le goût des voyages, de la rencontre avec d’autres cultures. Celui que ma mère m’avait transmis. Quand ils avaient dix-douze ans, je les ai emmenés à Tombouctou. Il y a trente ans, ce n’était déjà pas une destination banale ; aujourd’hui, on ne peut plus y mettre un pied. Ils m’ont rendu visite chaque fois que je suis parti en poste à l’étranger, en Israël et en Chine.

Michèle : Qu’aurais-tu envie de transmettre aux jeunes générations de journalistes ?

Pierre : Ils sont nombreux à vouloir embrasser cette profession, je parle beaucoup avec eux. Ce métier a énormément changé. Les réseaux sociaux et la technologie l’ont modifié en profondeur et pas vraiment dans le bon sens. Il est beaucoup plus difficile aujourd’hui de devenir journaliste et pourtant je pense qu’on n’a jamais eu autant besoin d’informer, d’enquêter, de témoigner avec rigueur face à la désinformation ambiante. Il faut sans doute inventer de nouvelles façons de le faire et je les engage vivement à les chercher, mais surtout à garder le cap d’une information rigoureuse. Moi j’ai eu de la chance dans mon métier, je me suis souvent trouvé au bon moment, au bon endroit, sans l’avoir planifié. En août 1993, quand j’étais à « Libération, » je suis parti en poste à Jérusalem. Un article de la presse locale disait « qu’il ne se passait rien », et je me disais que j’allais m’ennuyer ferme. Le mois suivant, il y a eu la poignée de mains Rabin-Arafat et les accords d’Oslo ! Je ne me suis pas ennuyé une minute ! En 2000, je suis parti en poste en Chine, et un ami m’a dit qu’on allait m’oublier : là encore ce furent des années intenses, celle du décollage économique de la Chine ! J’en ai fait un blog, des livres, j’ai créé une association humanitaire. Albert Londres disait que « dans ce métier, ne pas avoir de chance est une faute professionnelle ». Il avait raison.

En 1979 au Zimbabwe

Un des signes de mon âge réel est l’incapacité à se projeter dans un avenir à moyen terme.

Michèle : Comment t’imagines-tu dans 10 ans ?

Pierre. J’ai du mal à me projeter. Ça a toujours été le cas, je n’ai jamais vraiment planifié les étapes de ma vie. Mais c’est aussi un vrai signe de mon âge réel, l’incapacité à se projeter dans un avenir à moyen terme. Cependant peut-on le faire aujourd’hui avec les crises politiques, les conflits, les bouleversements technologiques et climatiques que nous vivons ? Un ami diplomate me disait récemment que nous n’avons pas de visibilité au-delà de six mois : le monde ne sera plus le même après l’élection américaine, selon le résultat. La dernière fois que nous avons été plongés dans une telle imprévisibilité c’est à la chute du mur de Berlin en 1989. Le vieux monde s’est écroulé, et ça s’est finalement bien passé. Ce fut même une période exaltante que j’ai couverte au jour le jour. La différence cette fois, c’est que nous avons déjà une multitude de conflits, et c’est plus inquiétant, je dois le reconnaître.

Michèle : As-tu des regrets ?

Pierre : Dans ma vie professionnelle, je ne pense pas. J’ai eu la chance de faire ce que j’ai voulu, j’ai eu un parcours très riche. Cependant cela a eu un coût, j’ai toujours donné la priorité à mon travail, et ma vie privée en a pâti, j’en suis conscient.

Michèle : Qu’aimerais-tu faire absolument avant d’être trop âgé ?

Pierre : Je pense depuis longtemps à un livre bilan en m’appuyant sur mes expériences ; pas des mémoires, je n’ai pas le goût de ce genre de littérature, mais un bilan, à un moment où le monde change. Il faudrait que je trouve le temps de me poser et de l’écrire...

Michèle : Quels sont les trois livres que tu conseillerais ?

Pierre : Le Juif errant est arrivé d’Albert Londres. Une série d’articles de 1929 sur le monde juif, qui conduit l’auteur, grand journaliste, d’Europe en Palestine : il raconte un monde qui n’est plus, et il est éclairant sur aujourd’hui.
Le monde d’hier de Stefan Zweig, écrit en 1941 : un immense témoignage sur les bouleversements de l’époque, qui fait écho à l’époque que nous vivons.
Brothers de Yu Hua, une saga d’un demi-siècle d’histoire chinoise contemporaine post-Mao. C’est un pavé de 700 pages, indispensable pour qui veut comprendre la Chine et c’est agréable à lire.

Pierre Haski en quelques clics…

En 5 minutes : sa fiche Wikipédia.

En 15 minutes : son archive préférée.

En plusieurs heures : son compte sur X.

En ce moment : Une terre doublement promise (Stock), son dernier ouvrage.

Revue de presbyte

Bonjour vieillesse. Dans le premier épisode de cette série publiée par Libération en 2022 ( avec la sociologue Rose-Marie Lagrave, Erri de Luca et Boris Cyrulnik ) Laure Adler envisage la résistance du peuple des vieux. « Je suis vieille et je vous emmerde » dit-elle en substance. Une façon punchy de se battre contre l’âgisme.

La jeunesse intérieure. Selon certaines enquêtes, la plupart des personnes âgées, même en mauvaise santé, se sentent en général vingt ans plus jeunes qu’elles ne le sont en réalité. Posez donc la question autour de vous et vous verrez…(The Conversation).

À votre santé !

Increvables neurones : Le cerveau humain développerait des neurones jusqu’à l’âge de 90 ans ! Une étude publiée dans Nature Medecine contredit l’idée selon laquelle notre stock de neurones, reçu en naissant, diminue au fur et à mesure. Une bonne nouvelle pour la mémoire.

Vieux & Golri

Au vrai chic éternel. Le compte Instagram @gramparents créé par Kyle Kivijärvi en 2016 montre des personnes âgées prises sur le vif dans des attitudes de la vie quotidienne, vêtues de vêtements confortables qui traversent les époques et les styles. Au début les photos étaient prises à New York, puis assez vite un peu partout dans le monde. L’ensemble est désuet, nostalgique, charmant et étrangement vivifiant.

Les 70e rugissants

À 89 ans, Albert Memmi, publiait Le Testament Insolent. (Éditions Odile Jacob)
À 76 ans, Salman Rushdie vient d’écrire Le Couteau. (Gallimard) 

My Beautiful Seventies a aimé

Un polar : Le Murder Club du jeudi de Richard Osman. (Le Livre de poche). Quatre octogénaires anglais, deux hommes et deux femmes, réunis dans une confortable maison de retraite, créent un club pour résoudre des affaires meurtrières non élucidées et se retrouvent entrainés dans des aventures improbables, entre Chapeau Melon et Bottes de Cuir et les enquêtes de Miss Marple. On les suit de bon cœur et on rit beaucoup, humour british oblige. Pour les amateurs, trois autres tomes ont été traduits.

Un roman graphique : Joseph Kessel l’indomptable de Judith Cohen-Solal, Jonathan Hayoun et Valérie Otero. On croyait tout savoir de Joseph Kessel, mais grâce à un dernier entretien inédit avec son filleul, on en apprend encore. « Je voulais vivre comme d’Artagnan et écrire comme Dumas » lui avoue-t-il. Et de fait, pendant plus de soixante ans, ce grand reporter doublé d’un magistral écrivain s’est toujours retrouvé au cœur des grands évènements du XX siècle, de l’Irlande à Dunkerque, de la guerre d’Espagne à la résistance.

La presse en parle

La bonne nouvelle, avec les abonnements qui augmentent régulièrement, c’est l’intérêt que suscite My Beautiful Seventies dans les médias.

Dans Visible Media par Florence Dauchez.

Dans La Ruche Media par Yasmina Jaafar

Dans le podcast La fin des règles par Aude Hayot.

Dans ELLE daté du 23 mai, par Soline Delos.

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