My Beautiful Seventies

Vieillir n'est pas (toujours) une punition

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Par Michèle Fitoussi
27 mai · 6 mn à lire
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Charlotte De Turckheim

Bienvenue dans My Beautiful Seventies

SOMMAIRE

1. Édito. Vieillir c’est pas pour les mauviettes.
2. Rencontre avec Charlotte de Turckheim, comédienne, humoriste, scénariste, réalisatrice.
3.Revue de presbyte. Le mouvement #Advanced Styles. Mamy c’est où l’Everest ?
4. À votre santé ! Ovaires et contre tous.
5. Vieux et golri. Monsieur Bon et madame Pon : nippons et nippés.
6. Les 70e rugissants : Judith, Jane, Meryl et les autres.
7. MBS a aimé. Un livre, Floraison tardive de Suzy Morgenstern et George Rosenfeld. Un podcast. Nous occidentaux, savons-nous encore vieillir ? France Culture.

Vieillir, c’est pas pour les mauviettes. 

Il y a quelques jours, j’ai demandé son âge à un monsieur aux faux airs de Clint Eastwood, version sèche et noueuse. Je sais, ça ne se fait pas, mais la question me titillait. Depuis que j’ai commencé cette newsletter, je suis devenue un peu obsessionnelle sur le sujet. « J’ai 81 ans ». La réponse, même attendue, m’a épatée. Pendant plus d’une semaine, huit heures par jour, je l’ai vu arracher la moquette d’une partie de mon appartement et en rénover les parquets, sans rien avaler d’autre qu’un verre d’eau et un café. Et sans paraitre plus fatigué que ça. J’en connais de beaucoup plus jeunes qui auraient craché leurs poumons. Avec un zeste de coquetterie, Clint a ajouté : « Je voulais pouvoir continuer à travailler, sinon je m’ennuie trop. Pour me maintenir, je joue au tennis trois fois par semaine, je fais 20 kilomètres par jour avec mon vélo d’appartement, je cours tous les week-ends, je me nourris bien.  Et je suis en pleine forme. La vieillesse, ça se prépare! »

Tout comme l’autre Clint Eastwood, le vrai, qui à 93 ans vient encore de réaliser un film, il est possible que ce Clint-là soit un cas particulier. Personnellement, l’idée de l’imiter pour gagner des années, m’épuise à l’avance. Mais des phénomènes comme eux, il en existera de plus en plus. Du reste, le nombre de centenaires en bonne santé augmente en France et dans le monde. Comme le résume d’une punch line Charlotte de Turckheim, qui trouve elle aussi que la vieillesse ça se prépare : “Vieillir c’est pas pour les mauviettes”. Il va falloir que j’y pense.

CHARLOTTE DE TURCKHEIM

“Plus on vieillit, plus il faut se remettre en question”

On ne présente plus Charlotte de Turckheim, sans doute l’une des artistes françaises les plus populaires et les plus appréciées. Comédienne, réalisatrice, scénariste, autrice et metteuse en scène de théâtre, elle a tout fait, elle sait tout faire, avec humour et générosité et une bonne dose d’humilité. Nous nous connaissons depuis des années et je me souviens de nos conversations presque quotidiennes, quand le hasard nous avait rendues voisines et que nos enfants allaient à l’école primaire ensemble. Le matin, après les avoir accompagnés, nous refaisions le monde, le temps d’un café. À l’époque, le temps qui passe ne nous effleurait pas, trop occupées que nous étions à maitriser nos agendas au jour le jour ! C’était il y a trente ans, autant dire un siècle. Aujourd’hui Charlotte a sept petits-enfants, une maison d’hôtes en Provence qu’elle gère avec son mari, et n’a pas du tout l’intention de s’arrêter de travailler. Elle a gardé la même pêche, le même enthousiasme, le même appétit de vivre. Et c’est communicatif.

 

Charlotte de Turckheim, 69 ans, et la même pêche communicative qu'à 30.Charlotte de Turckheim, 69 ans, et la même pêche communicative qu'à 30.

Michèle Fitoussi : Tu auras 70 ans l’année prochaine. Est-ce un bel âge pour toi ?

Charlotte de Turckheim : Tout âge est beau… ou bien moche. Il y a des horribles twenties ou des magnifiques thirties. En ce moment, oui, je peux dire que je vis des Beautiful Seventies ! Il y a trois ans j’ai fait un burn out, pour diverses raisons dont mon film, sorti pendant le Covid, qui n’a pas marché. J’ai compris que j’étais au bout d’un cycle et je me suis dit qu’il fallait que je change, que je retrouve l'enthousiasme. Je pense qu’il est important de se renouveler tous les dix ans. La vieillesse, ça se prépare.

Michèle : Et tu penses aussi que tu peux toujours tout faire ?

Charlotte : Physiquement, non… J’ai renoncé à grimper sur l’Everest, par exemple ! Je ne peux plus skier comme une dingue, mais bon, il y a le ski de fond. En réalité, le vrai changement physique s’est produit à la ménopause, comme pour beaucoup de femmes. Moi qui suis une bonne vivante, je ne pouvais plus manger ni boire ce que je voulais, en me restreignant le lendemain pour tout reperdre. Aujourd’hui, après avoir fait plusieurs burn out, j’arrive à mieux me connaitre. Quand je fatigue, je sais m’arrêter et surtout, j’ose le dire.

Michèle : Et dans ton métier ?

Charlotte : Dès mes débuts, on m’a expliqué que ça serait compliqué, que je ne serais jamais une jeune première à cause de mon nez. La carrière d’une comédienne est émaillée de soi-disants interdits. Mon ego ne supportant pas les refus, j’ai décidé de me prendre en main et de n’écouter personne. On m’a dit aussi : « Si tu fais des enfants tu n’auras plus de boulot ». J’ai donc fait trois enfants et je n’ai jamais autant travaillé ! C'est ma façon à moi d'être féministe et rebelle ! Aujourd’hui je n’ai plus envie de bosser comme je le faisais avant, sur scène le soir et le lendemain sur un plateau de cinéma. Je détestais ça.  De toute façon, dans ce métier, on est sans arrêt confronté à l’âge, il y a tout le temps des nouveaux qui arrivent, plus drôles, meilleurs… Il faut l’accepter. Ça n’arrive pas qu’à soixante-dix ans ! Il faut aussi travailler avec des gens plus jeunes que soi parce qu’ils nous bousculent et nous donnent l'envie de faire des choses.

Michèle. Tes filles te poussent aussi. Julia ( Piaton) est comédienne, Johanna est réalisatrice.

Charlotte : Elles me poussent dans le bon sens. Mes filles, c’est moi en mieux. Et j’ai la prétention de penser que grâce à moi et aux femmes de ma génération, mes filles, nos filles, ont monté une marche. Pour elles, tout est normal. Normal de vouloir être réalisatrices, comédiennes, de bien gagner leur vie, d'avoir des enfants en même temps…

Michèle : Que penses-tu leur avoir transmis ?

Charlotte : J’espère leur avoir transmis l’idée de pouvoir s’accomplir sans que ce soit un combat mais une évidence. À elles de monter encore plus haut dans l’exigence, ce qu’elles font d’ailleurs. Moi à 20 ans, je voulais avant tout sortir de mon milieu, surtout ne pas épouser un notaire ou un banquier. Le reste était flou. Elles, elles savent tout de suite ce qu’elles veulent. On a ouvert la voie, elles vont vers le sommet.

Le botox et tous ces trucs, c’est un combat perdu d’avance

Michèle : Alors qu’est-ce qui change pour toi aujourd’hui ?

Charlotte : Je ne vais plus voir les films dans lesquels je joue. Mais c’était pareil à 40 ans ! Je trouve que j’ai grossi, je suis obsédée par mon nez et par mes oreilles car on dit qu’ils grandissent en vieillissant. Mais j’ai arrêté le Botox et tous ces trucs qu’on utilise dans notre métier car c’est un combat perdu d’avance. Bette Davis disait « Vieillir c’est pas pour les mauviettes ». Elle avait raison. Qui a envie de vieillir ? C’est affreux ! Mais impossible de l’éviter. Alors, soit on l’accepte, on essaie de se maintenir en forme, et on reste très actif. Soit on lâche la rampe, on garde ses cheveux gris, on renonce à la séduction, à la féminité, on râle, on se plaint, on trouve que c’était mieux avant. Je préfère la première façon qui est la mienne, même si j’entends parfois mes amies moins dynamiques, me dire que tout le monde n’a pas mon énergie…Elles ont raison, toutes les vieillesses ne sont pas les mêmes. Mais moi je suis tellement dans le faire… 

Michèle. Justement, que fais-tu ?

Charlotte : Je viens de terminer une série dans laquelle je joue la maman d’Alex Lutz, je produis le film de ma fille cadette Johanna qu’on tourne à la Martinique, je suis aussi le chantier des projets d’agrandissement de ma maison d’hôtes à Eygalières. Et j’ai plein de projets.

Michèle : Laquelle de ces activités préfères-tu ?

Charlotte : J’ai un faible pour mon métier, bien sûr. Mais c’est une activité dévorante qui a besoin d'être régulièrement calmée. Le fait de construire des maisons, d’avoir les mains dans la terre, me permet de me rassurer. On est tout le temps angoissé, on ne sait jamais de quoi les lendemains seront faits, ni ce qu’on va gagner. Il y a un truc génial quand on a soixante-dix ans, c’est de toucher sa retraite et de pouvoir continuer à travailler. En plus de soixante ans d’activité , ça ne m'est jamais arrivé d'être payée tous les mois comme une salariée. Ça m’apporte aussi une forme d'apaisement.

Il faut se débarrasser des idées reçues sur cet âge, car tout est à inventer

Michèle : Est-ce que tu t'imagines dans dix ans ?

Charlotte : C’est un peu flippant de se dire : « Beautiful Eighties » ... Moi je m’angoissais beaucoup en pensant à mes soixante-dix ans et finalement ce n’est pas si mal. Mais j'ai impression que notre génération trace encore une fois la route. Notre vieillesse n’a rien à voir avec celle des générations précédentes. Il faut se débarrasser des idées reçues sur cet âge, car tout est à inventer et tout est surprenant. Et plus on vieillit, plus il faut se remettre en question. Ce qui est compliqué c’est de ne pas se projeter sur l’image de la vieillesse dégradée de certains de nos parents. Quand je vois ma petite maman de 94 ans, qui a un Alzheimer, je suis parfois attaquée par la tristesse. Et je ne peux pas m’empêcher d’avoir un effet miroir. Ça, c’est le truc pas cool. Il faudrait pouvoir retourner voir un psy pour en parler. Mais j’ai la chance d’avoir plein de petits-enfants et ça me met en joie de m’en occuper, parce que ça me permet de revivre tous ces moments de la petite enfance que j’ai eu avec mes filles et que j’ai oublié. C'est un cadeau.

Dans les années 80, tendance Lady Charlotte. © JLPPA / BestimageDans les années 80, tendance Lady Charlotte. © JLPPA / Bestimage

Michèle : Que penses-tu du reproche que les jeunes nous font? On leur laisse une planète en mauvais état…

Charlotte. Ils ont raison de nous en vouloir, mais on ne le savait pas ! Ce qui ne nous excuse en rien. Mes filles ont été nourris de boissons avec colorants, de plats surgelés tous faits, réchauffés au micro ondes… Elles s’en indignent, rétrospectivement. Mais quand je les vois, je les trouve plutôt réussies. Et elles font plein d’enfants, donc elles sont optimistes.

Michèle : Et toi ?

Charlotte : Il m’arrive d’être pessimiste en pensant à l’état du monde aujourd’hui, mais est-ce que c’est plus dur qu’avant ? La famine a reculé, les maladies infantiles aussi, la condition des femmes s’est quand même un peu améliorée, D’accord il y a des zones de conflits intenses, mais n’oublions pas que la première guerre mondiale a fait vingt millions de morts.

Michèle : Y-at-il une chose que tu regrettes de ne pas avoir fait ?

Charlotte : Je regrette de ne pas avoir eu assez confiance en moi, parce que je suis une femme, d’avoir perdu du temps à m’excuser, à ne pas oser. Je n’ai jamais su entrer dans le bureau de TF1 en leur disant : « Vous avez de la chance, vous allez produire mon prochain film ! » Les hommes, ça ne les gêne pas de le faire !

Michèle : De quoi as-tu envie particulièrement ?

Charlotte : De tellement de choses ! Je voudrais produire ou réaliser un grand beau film qui correspond à la Charlotte d'aujourd'hui, une histoire d’amour et de nature. Et aussi retourner à Cuba où j’étais partie il y a des années avec ma classe de salsa. A soixante-dix ans, c’est pas mal de se lancer dans un concours de salsa ! Ou de faire une séance de photos, nue.Des trucs un peu foufous…

Charlotte de Turckheim en quelques clics..

En 10 minutes : Sa bagarre avec son corps. (Femme Actuelle)

En 20 minutes : Toutes ses dernières infos dans Gala

En 52 minutes : Son engagement pour les enfants d’Asie. (YouTube)

Revue de presbyte

#Advanced Style, ce mouvement venu des Etats-Unis est devenu une véritable référence pour les femmes âgées qui veulent rester belles. Et de plus en plus rebelles (The Conversation)

Mamy, c’est où l’Everest ? Grimper, surfer, nager avec les dauphins… À cœur âgé rien d’impossible ! Surtout pour les femmes (Nationalgeographic.fr)

À votre santé !

Ovaires et contre tous. Les ovaires en bon état de marche sont indispensables à la santé des femmes et pas seulement pour faire des enfants. Retarder la ménopause serait tout benef pour elles. (Nationalgeographic.fr)

Vieux & Golri

Monsieur Bon et madame Pon, à la ville Tsuyoshi et Tomi Seki, mariés depuis 41 ans, forment un irrésistible couple japonais. Depuis leur retraite, leur passe-temps favori est de s’habiller avec style, dans des vêtements aux coloris assortis, et de poster les photos sur Instagram pour le plus grand bonheur de leurs 900000 abonnés. @bonpon511

Les 70e rugissants

À 97 ans, Judith Magre est toujours sur scène au théâtre de poche Montparnasse.

À 75 ans, Meryl Streep, a fait le show au dernier festival de Cannes. George Miller, 79 ans, David Cronenberg, 82 ans, Francis Ford Coppola, 85 ans, et Jane Fonda, 85 ans, aussi.

My Beautiful Seventies a aimé

Un récit  : Fleurs tardives de Susie Morgenstern et George Rosenfeld (Bayard)

J’ai une passion pour la merveilleuse Susie Morgenstern et ses livres pour enfants que tout adulte censé devrait lire. Celui- là est un des rares qui ne s’adresse pas aux petits. L’autrice raconte comment, à plus de 70 ans, après avoir vécu trente années dans le souvenir de son premier mari, elle a rencontré sur internet, Georges, un homme plus âgé qu’elle, veuf lui aussi. Tous deux racontent leur quotidien et c’est réjouissant.

Fleurs tardivesFleurs tardives

Un podcast : Nous occidentaux,savons-nous encore vieillir ? Avec Philosophie. Géraldine Mulhman. France Culture.

Les Anciens vieillissaient-ils mieux que nous ? Les générations doivent-elles cohabiter ? Comment vieillir chez soi ? Comment affronter le vieillissement de ses proches ? La vieillesse est-elle une chance ? Toutes ces questions et bien d’autres sont abordées ici sous un angle philosophique. Ce qui nous rend un peu plus intelligent sur la question.

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